La Plume de l’Ecriture
Le monde
arabe, invité d’honneur
à la Foire
du livre de Francfort
Par
Betool Khedairi,
écrivain irakienne
Traduction en français de Samar Anqud
Je
suis entrée dans la Foire avec une carte de l’Irak comme broche collée
sur mon chemisier. Les lumières suspendues au-dessus des allées des
éditeurs brûlaient les affiches glacées et les visages des visiteurs.
L’odeur d’encre enfumée m’a rappelé ma mère écossaise décédée. Elle
était bibliothécaire à la Bibliothèque ‘Pont de George IV’ d’Edimbourg
dans les années cinquante. Elle m’a invitée à devenir écrivain, et la
Ligue Arabe a invité l’écrivain à Francfort.
Elle
s’occupait de centaines de livres, les époussetait, les archivait et les
chérissait, mais elle ne les gardait jamais chez elle. A Bagdad, elle
rangeait, avec fierté, sa collection de l’Encyclopédie Brittanica,
mais elle n’exposait jamais de romans sur ses rayons. Sa philosophie
était la suivante : “Les romans doivent circulés parmi les lecteurs.
Il nous faut les lâcher afin de laisser se répandre les histoires.”
En me raccrochant à cette pensée, j’ai commencé à chercher d’autres
romanciers.
La
cérémonie d’ouverture a souligné l’importance d’établir un rapprochement
entre l’Est et l’Ouest. Les orateurs ont parlé chacun à leur tour : le
Chancelier allemand, le Maire au féminin de Francfort, le Secrétaire
Général de la Ligue Arabe, le Chef du Syndicat des éditeurs allemands,
et un représentant du lauréat du prix Nobel, Najib Mahfouz. Au lieu de
faire un discours, la Première Dame égyptienne, Mme Mubarak, avait une
affiche dans son pavillon sur laquelle étaient imprimés sa photo et ces
mots “La lecture est pour tout le monde.” On a mentionné que mille
écrivains, romanciers et cellules de réflexion y assisteraient. 300
d’entre eux venaient du monde arabe. Plus de 600 exposants
internationaux représentaient 100 pays, et des milliers de journalistes
ont assuré la couverture de l’événement.
Les orateurs ont décrit l’événement comme un “Festival
de Curiosité”, “une Rencontre avec l’inconnu, l’étranger, l’exotique, de
nouvelles cultures, la pauvreté et la crise”, concluant par ces mots-clé
: le Tiers-Monde. Les opinions variaient. “L’Islam est généralisé… il
ne s’agit pas de conflit de cultures, il s’agit de lutter contre le
terrorisme... La question, ce n’est pas de savoir qui avait raison, nous
sommes maintenant responsables de la stabilité et de la démocratie.”
Outre l’analogie maligne “Avoir un livre sur sa table de nuit est plus
intime que de le lire sur l’écran d’ordinateur dans cette ère d’écriture
digitale,” on avait l’impression, avec la mention brève du problème
palestinien, que l’on parlait du passé et de l’avenir de l’Irak.
Les
orateurs, devant un fond de tournesols frais sur scène, se sont engagés
dans une terminologie botanique. “Un livre est comme un jardin qu’on
porte dans sa poche… on veut sentir les roses de votre jardin… Les
clôtures qui tombent sur les champs verts… les fleurs de lumière, les
arbres, les fruits de la culture.”
Entrelacés
dans cet échange ‘Laura Ashley’, les Arabes ont soutenu qu’ils sont la
source des connaissances depuis l’aube de la civilisation ; un fait que
les Allemands ont diplomatiquement concédé. En me mêlant plus tard à la
foule, j’ai commencé à deviner un autre message qui semblait dire “Hé,
l’Ouest! Réglons nos comptes. Vous avez acquis nos sciences et
aujourd’hui, vous possédez la technologie. Nous écrivons sur notre
misère et maintenant, vous pouvez nous aider à la publier – et on peut,
peut-être, gagner de l’argent. Après tout, le marché du livre est en
déclin depuis 2002, et on espère le raviver.”
J’ai
appris à sentir les messages quand j’étais petite. J’étais traductrice
pour ma mère. Il était de mon devoir de lui expliquer le sens de ma
langue paternelle et, par conséquent, j’ai appris l’art de la
simplification. C’est intéressant ce qu’on découvre parmi les
différences culturelles. Des disputes de mes parents, j’ai appris ce
qu’il faut faire ou ne pas faire. Par exemple, n’appelez pas votre mari
arabe ‘un métèque’, et n’appelez pas votre femme écossaise ‘une
Anglaise’. Pour ce rassemblement culturel, j’ai essayé de ne pas
employer le mot ‘orientaliste’ auprès des chercheurs sur la culture
arabe, et de ne pas utiliser le terme ‘arabiste’ en présence des
Palestiniens. Dans l’intervalle, les Irakiens s’épanouissaient à
l’emploi du terme ‘Occupation’ et, dehors de la Foire, un groupe
d’Israéliens malheureux manifestaient contre l’Invité d’Honneur.
L’expression d’un officiel allemand, qui a étiqueté l’événement de
‘ville de la lutte intellectuelle’, m’a plue. Je salue en particulier
ses soldats inconnus : les traducteurs. J’ai suivi leur contribution
miraculeuse, accomplie en très peu de temps, pendant qu’ils traduisaient
avec grand soin les œuvres arabes en allemand. Ils ont failli
s’effondrer de fatigue. Ce sont eux, les vrais médiateurs. Pendant
toutes ces conférences, on a attaché à mon avis, trop d’importance aux
questions “Qui sommes-‘nous’, et eux, qui sont-ils?... Double identité…
Que considérez-vous comme votre patrie?” Ce thème se répétait à tel
point que, quand on m’a demandé “Alors, où habitez-vous?”, j’ai décidé
d’adopter mon attitude mondialiste : “Dans ma tête, et quand je veux
parler, j’ouvre la bouche pour sortir.”
Durant les quatre jours accablants de promotion de soi,
j’ai été surprise par le choix de lecture fait par mon compatriote
irakien. Une nouvelle dont le sujet est un crime d’honneur où l’homme
surprend sa partenaire et un autre type, en train de se peloter. Un
fusil de chasse apparaît sur scène, Boum ! et la dame dégouline de sang
au lit ! Ensuite, j’ai tenté de me détacher en assistant aux séances de
musique arabe. La Schéhérazade était un bon choix de symphonie mais, à
la place des compositions arabes originales, on a envoyé la musique de
Rimsky-Korsakov au public occidental, et on a monté un sketch
hyperbolique du danseur malveillant tranchant les têtes avec une dague
aux dix poupées féminines !
Epuisée de
fatigue durant les dernières heures, je suis tombée sur Khalil Shawki,
un acteur chevronné irakien qui approche des soixante-dix ans. Je lui ai
dit : “Je ne suis pas certaine que mes écrits contribueront à changer le
monde, comme on s’y attend par tous ces discours.” Il m’a répondu : “C’est
entièrement à vous de décider comment utiliser votre plume. L’être
humain est comme la vapeur, il est capable de pousser un train, ou de se
borner à l’eau bouillante d’une bouilloire.”
Betool
Khedairi est née en 1965 d’un père irakien et d’une mère écossaise. Elle
a habité en Irak jusqu’à l’âge de 24 ans et vit aujourd’hui à Amman.
Elle est l’auteur de deux romans, ‘Comme le ciel était proche’,
et ‘Ghayeb’ (‘L’Absent).
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