Le nouvel
Observateur
Mon Irak disparu - Les débats de l'Obs
pages réalisées par François
Armanet et Gilles Anquetil, Mai 2006
ELLE
Rencontre du côté des
orientales
Chritophe Ono-Dit-biot, Mai 2006
Le Monde
Ni d'ici ni de là-bas
Emilie Grangeray, Mai 2006
auteur de Femmes de sable et de myrrhe
Hanan
el-Cheikh, 2001
Dans ce roman il s’agit non seulement de l’Iraq, mais aussi de
l’enfance, du racisme, du déséspoir, du gouffre entre l’Orient et
l’Occident, et, surtout, de comment réussir à les dépasser en employant un
kit de survie critique: l’amour, la liberté, l’art, le ressort. Tout cela
nous est offert dans le style moderne et captivant d’une nouvelle voix
rafraîchissante dans la littérature arabe.
Random House, A Sky So Close exprime une lutte
Est-Ouest
Sophie Cottrell, 2001
Le premier roman fascinant de Betool Khedairi, A Sky So Close (Pantheon
Books/16 juillet, 2001/$23.00) est un récit d’éducation situé en Irak dans
lequel l’Orient et l’Occident se heurtent et puis s’entrelacent dans la
vie d’une jeune fille. La fille d’un père irakien et d’une mère écossaise,
Khedairi a grandi en Irak et aujourd’hui, elle vit en Jordanie. Dans A Sky
So Close, elle recrée un monde où les champs d’abricotiers sécrètent un
sirop que mastiquent les enfants; où, par temps chaud, des enfants heureux
passent la nuit sur le toit à la belle étoile; où, sous leurs voiles
noirs, les femmes peuvent avoir des tatouages bédouins compliqués qui
ressemblent aux ‘tapis brodés en mouvement’; où on boit du thé en tenant
des morceaux de sucre entre les lèvres. Khedairi nous inonde d’images
éblouissantes en nous décrivant la surréalité de la vie en temps de
guerre.
A Sky So Close consiste en trois étapes de la maturation et l’acceptation
de ses deux cultures apparemment irréconciliables. Pendant la première
partie du roman, située dans un village provincial, la narratrice découvre
ce que c’est que d’être irakienne en jouant avec sa meilleure amie dans
les vergers à côté de la rivière. De son père irakien, “un marchand
d’assaissonnements”, elle apprend la beauté et la créativité. La deuxième
partie du roman amène le lecteur à Bagdad, que Khedairi juxtapose à la
guerre Iran-Irak. La narratrice commence des leçons de ballet et, plus
tard, connaît sa première liaison amoureuse. La troisième partie du livre
se déplace en Angleterre où la narratrice et sa mère anglaise veuve
voyagent, ayant quitté l’Iraq déchiré par la guerre. La narratrice finit
par comprendre et accepter sa mère et la culture occidentale, juste comme
sa mère tombe gravement malade.
L’ambiance et les images de A Sky So Close rappelle des scènes des films
du Moyen-Orient (en particulier des films iraniens) qui gagnent récemment
en popularité aux États-Unis (Le ballon blanc, Les enfants du ciel, Le
goût de la cerise). C’est aussi un regard rare sur l’Irak contemporain vu
de l’intérieur. Asseyez-vous avec une tasse de thé à menthe et goûtez A
Sky So Close.
Introduction à l'auteure
Betool Khedairi est née à Bagdad d’un père irakien et d’une mère écossaise.
Après avoir obtenu son diplôme en littérature française, elle a voyagé
entre l’Iraq, la Jordanie et le Royaume-Uni, travaillant dans l’industrie
alimentaire pendant qu’elle écrivait A Sky So Close qui a été publié en
arabe au Liban en 1999. Aujourd’hui elle vit à Amman et elle est en train
d’écrire son second roman.
Yasmine Bahrani, USA TODAY, 2002
Betool Khedairi écrit que les enfants irakiens chantent une chanson pour
faire sortir un escargot de sa coquille. La femme écrivain irakienne, âgée
de 36 ans, a fait quelque chose de semblable avec son premier roman, A Sky
So Close, publié d’abord en arabe en 1999.
Les descriptions douces de Khedairi chantent aux Irakiens comme pour les
faire sortir des coquilles qu’ils ont formées pour se protéger de leur
histoire récente. Des coquilles qui ont fini par les suffoquer. Par
exemple, les écrivains et les artistes irakiens pratiquent une forme de
censure de soi quand ils choisissent d’éviter des sujets à controverse
tels que la sexualité ou le racisme.
Pour le lecteur occidental, son conte récemment traduit chante une chanson
différente mais aussi émouvante. C’est un roman d’éducation au sujet d’une
jeune femme anonyme qui, comme Khedairi elle-même, est née à Bagdad d’un
père irakien et d’une mère britannique. Cela seul évoque des problèmes que
héritent bien des Irakiens. La vie de la jeune fille bourgeoise est une
lutte quotidienne entre les coutumes orientales de son père et le style
occidental de sa mère (de la même façon que la culture du pays porte
l’empreinte d’une double identité).
Khedairi éclairent les tensions entre les deux mondes sur un niveau
personnel. La mère de la fille ne peut pas s’adapter à la vie dans l’Est
et elle est dédaigneuse de tout. Elle se plaint que le jujubier, un arbre
cher aux Bagdadiens, perd trop de feuilles, créant trop de détritus dans
le jardin: il faut l’abattre. Elle décourage sa fille de jouer avec les
enfants du quartier en disant qu’ils lui passeront leurs poux.
Cependant, elle écrit avec beauté sur les sentiments contradictoires de la
fille envers sa mère: “I’m watching my mother. As she opens her lips to
answer back, she reveals teeth, little bulges, the size of almonds in a
row. When she talks, her tonsils move like those of a soprano; they
resonate and seem to me like two vibrating tamarind seeds.”
De telles tensions exacerbent des conflits familiaux par ailleurs
ordinaires. Un jour, son père dit à sa femme: “As long as you live in this
house you’ll respect its traditions…If this is what you want, then I’ll
divorce you…The child is mine, she’ll stay with me, I promise you that.
The law is on my side.”
La fille a hérité le teint foncé de son père, ce qui, dans un Bagdad
conscient de couleur, la désavantage socialement et psychologiquement.
Ecrire sur une famille pareille, c’est décrire aussi un Irak compliqué et
stratifié, un Irak que ne reconnaissent pas beaucoup d’observateurs – ni
de l’est ni de l’ouest.
Il se peut que les exemples qu’offre Khedairi des différences entre l’Est
et l’Ouest semblent assomants aux quelques lecteurs, mais elle tente de
dévoiler des coutumes sociales qui sont rarement mises en question. Son
œuvre a fait du bruit dans le monde arabe à cause de son message et du
récit, fait en détail, des liaisons amoureuses de la protagoniste et de
ses rapports sexuels avant le mariage; ce sont des sujets que bien des
gens du Moyen-Orient ne veulent pas reconnaître.
Ce qui sauve, de façon révélatrice, la jeunesse de l’héroïne, c’est son
étude du ballet occidental. “Even my skin color no longer displeased me.
…I leapt upward performing a low jeté. Then another one, higher, and then
a third one, even higher! My body felt as light as my shadow.”
Dans la deuxième partie du livre de Khedairi, il est question de survie.
Pendant qu’elle grandit, le personnage principal voit la dégradation de
son pays. Une guerre interminable ravage l’Irak qui, par la suite, sombre
dans un fond inconcevable de la privation dans le sillage de la Guerre du
Golfe.
Les choses se passent mal pour la femme comme pour son pays. Se trouvant
toute seule à Londres, elle s’occupe d’une relation tournée à l’aigre et
d’un avortement. Sa vie aussi est dévastée. Le roman se termine sur une
note de tristesse et, malheureusement, les Irakiens vont probablement s’y
identifier. Néanmoins, l’œuvre constitue une invitation aux lecteurs
irakiens à faire face à l’horreur d’un pays tout déchiré et d’une
bourgeoisie en exil.
Pour les lecteurs occidentaux, la valeur du roman ne réside pas seulement
dans une histoire courageuse. Le roman nous offre un Irak humain,
dépouillé de la politique qui l’a rendu opaque au monde. Ceci n’est pas
l’Irak à la une; c’est l’Irak du cœur.
Peut-être que l’aspect le plus émouvant de A Sky So Close c’est que l’Irak
du cœur est un endroit plus triste et plus souffrante que l’Irak que
réflètent les journaux.
Michael Maiello, (The New York
Times, 12 Aug 2001, books in brief )
La narratrice anonyme du premier roman luxuriant de Betool Khedairi prend
parti dès la première page. Il est bien naturel que la fillette de 6 ans
soit du côté de son père irakien plutôt que de celui de sa mère anglaise:
sa mère est une expatriée peu gracieuse qui interdit à sa fille d’aller
voir son amie Khaddouja qui habite la cabane derrière leur ferme. Pendant
que la fille grandit, la famille déménage à Bagdad et, car sa mère y
insiste, la narratrice étudie le ballet. Ironiquement, la danse
occidentale la libère du dégoût de soi-même qu’a provoquée l’intolérance
de sa mère. En examinant son reflet dans le miroir elle dit: “Even my skin
color no longer displeased me.” Dans cette traduction coulante de l’arabe
par Muhayman Jamil, l’écriture de Khedairi est aussi bien impressionniste
qu’accomplie; elle est économe mais jamais laconique. Pendant son
adolescence, la narratrice connaît la guerre Iran-Irak, la mort de son
père, et son premier amant – un sculpteur recruté dans l’armée. Quand le
cancer du sein de sa mère s’aggrave, elles déménagent à Londres. Étant
devenue maintenant une étrangère elle-même, elle cesse de prendre parti et
embrasse ses deux cultures - un pas fait dans l’âge adulte qui amène de la
douleur, mais aussi de la libération.
Mark Rozzo, Los Angeles Times, First Fiction 9/2/01
Le ciel dans le titre du premier roman assuré de Betool Khedairi – un
roman à clef qui se déplace d’un village hors de Bagdad à Londres - est un
ciel vu par une jeune fille en faisant de la balançoire. C’est un moment
ineffaçable de liberté pour l’héroïne de Khedairi, une fillette anonyme
qui est toujours tiraillée par son père irakien autoritaire et sa mère
britannique intolérante. Mais au fil des années, de ce ciel si proche qui
plane sur le village champêtre de Zafraniya, tombera finalement une pluie
de bombardement en tapis pendant la Tempête du désert, “la guerre la plus
froide de l’époque moderne.”
S’il n’offrait que cet aperçu de l’Irak durant les longues années
terribles de la Guerre Iran-Irak, et plus tard, du conflit ‘jeu vidéo’ de
la “Mère des Batailles”, A Sky So Close serait un livre valable. Mais
Khedairi – une femme écrivain irakienne qui vit maintenant en Jordanie – a
tissé, de ces cataclysmes ostentatoires, une toile de fond pour cette
histoire d’éducation souvent comique, souvent angoissante: La narratrice
de Khedairi rapporte, les yeux écarquillés, - en adressant sa prose, comme
une longue lettre , à son père – les tentatives timides de ses parents de
se comprendre. C’est une détente à peine soutenue que Khedairi résume
simplement et admirablement: Lui, il préfère plonger son pain dans le
sirop de dattes tandis qu’elle “never misses what she calls ‘afternoon
tea’ and her favorite sandwiches of jam and butter.” Mais ce qui est le
plus remarquable, c’est l’entrain que soutien Khedairi même quand son
héroïne enfant grandit et voit la mort de ses parents, subit des relations
tournées à l’aigre et des frustrations artistiques et quand, comme une
Occidentale nouvellement forgée, elle ne peut qu’être une spectatrice
impuissante pendant que sa patrie est détruite chaque soir à la CNN.
Linda Zeilstra, Booklist , 2001
Dans ce premier roman doux mais puissant, la narratrice anonyme, la jeune
fille d’un père irakien et d’une mère anglaise, grandit dans la campagne
irakienne, déchirée par les différences culturelles de ses parents. Après
la mort de sa meilleure amie et la crise cardiaque de son père, la famille
déménage à Bagdad. Quand la guerre entre l’Iran et l’Irak éclate, la
narratrice, maintenant adolescente, se livre au ballet. La vie continue à
changer quand son père meurt, et elle tombe amoureuse d’un soldat irakien,
une relation compliquée par le fait qu’il est chrétien. La liaison
s’achève quand la narratrice accompagne sa mère en Angleterre au
commencement de la Guerre du Golfe. Sa mère, souffrant d’un cancer
terminal, voyage à sa patrie pour mourir. Pendant qu’elle soigne sa mère,
la narratrice continue sa quête de découverte de soi, en se réconciliant
avec son passé et en essayant de déterminer son avenir. Ce roman de
formation rendu de façon vivante révèle la richesse et la beauté de la
culture irakienne.
Nuageux, belles éclaircies
Malgré la prose imparfaite, A Sky So Close brille
Andrew Irvin, citypaper.net, 2002
Le premier roman de Betool Khedairi, A Sky So Close, raconte l’histoire
d’une jeune fille prise entre les deux feux du conflit de sa mère anglaise
avec son père irakien. Habitant au Moyen-Orient, lui, il veut rester
fidèle à son héritage natal, tandis que ce qui manque à sa mère, c’est
l’aisance bourgeoise. Tout au long du livre, la petite fille, qui est
aussi notre narratrice anonyme, est tiraillée par les deux cultures
rivales.
Le titre du roman dérive d’un épisode au début du récit dans lequel la
narratrice, une fillette, fait de la balançoire avec sa meilleure amie. Le
mouvement oscillant symbolise l’apesanteur émotionnelle à laquelle elle
fait face pendant toute sa vie biculturelle.
L’histoire se dévoile comme une symphonie en trois mouvements distincts,
le premier duquel se déroule dans le village rural de Zafraniya, ou “la
Terre du Safran”, à vingt miles au sud de Bagdad. La fille mélange parfois
des mots anglais avec des mots arabes dans son parler, et elle raconte son
histoire comme si elle s’adresse à son père. C’est un scientifique et un
marchand d’épices qui essaie de rester fidèle à ses racines malgré la
pression qu’exerce sur lui sa femme. Il est compatissant et communicatif
tandis que la mère est vue comme une fainéante impitoyable.
La mère essaie d’interdire à la fille de jouer avec avec sa meilleure amie,
Khaddouja, une petite paysanne:
“You mean you were with that dirty little girl again. Didn’t I warn you
not to mix with that lice-ridden child…She’s not your friend, she will
only give you her diseases.”
Elle déplore ce qui est, d’après elle, une manque de civilité dans la
campagne irakienne, une situation rendue même pire par les visites
espacées de ses amis blancs Millie et David – ou “Dawood”, comme
l’appellent les gens du coin. Elle écoute la radio BBC et meurt d’envie de
déménager à quelque part de plus cosmopolite. Son souhait se réalise quand
le père souffre d’une crise cardiaque liée au stress, ce qui lui force de
partir s’installer à Bagdad.
La deuxième section du livre se déroule dans la ville, et le centre
d’intérêt devient maintenant les relations entre la fille et sa mère. Pour
comble, la guerre contre l’Iran éclate. La vie en temps de guerre est
difficile pour tout le monde, mais, tout d’un coup, le ciel s’approche
vraiment quand les bombes commencent à tomber et l’action avance à une
allure folle. Un personnage proche de la narratrice meurt, et un autre est
frappé d’une maladie atroce. La petite fille devient adulte et, au cours
de sa maturation, elle fait subir au lecteur une scène sexuelle si toquée
et si outrée qu’elle l’époustoufle:
“In a flicker of a dream the color of the sky, I build myself a palace
with walls of sugar. His smooth blond body is dripping beads of sweat that
have melted the walls of my palace. I’m swimming in a milky white liquid.
I can’t escape; I surrender. Before I drown, I swallow a small wave of
final sweetness.”
Eh bien, c’est peut-être une scène sexuelle. Ce passage a peut-être perdu
quelque chose à la traduction de la version originale en arabe. Il y a de
longs passages où l’écriture erre, ce qui fait trébucher le lecteur à la
recherche vertigineuse d’un personnage dont le nom on ne sait même pas.
Néanmoins, la plupart du temps, le rythme de la prose est plaisant et
évocateur.
La dernière section du livre se déroule dans l’Ouest, démontrant davantage
les différences entre la culture de la mère et celle du père. L’auteur
nous offre un aperçu de l’Irak, vu de l’extérieur, qui est à la fois
mélancolique et romancé.
A part de quelques instants d’introspection sirupeuse, c’est un petit
livre charmant qu’adorerait tout professeur des cours de littérature
“entre deux mondes”, et à juste titre. Pour le lecteur américain, il offre
un regard spécialisé non seulement sur les rôles sociaux des femmes
moyen-orientales, mais aussi sur les conflits, intérieurs et
internationaux, et l’aliénation qui rendent uniques ces femmes. Malgré les
imperfections de la prose, ce roman parfois puissant vaut la peine d’être
lu.
Publisher’s Weekly, 2001
Une jeune femme atteint sa majorité en Irak dans ce début romanesque
lyrique. La narratrice anonyme rappelle sa première enfance dans une ferme
dans le petit village de Zafraniya, hors de Bagdad. C’est une période
surtout paisible à la campagne: le matin, la narratrice va à l’École de
Musique et de Ballet, et l’après-midi, elle passe son temps à jouer parmi
les abricotiers. Cependant, dès l’âge de six ans, les valeurs discordantes
de l’Est et de l’Ouest commencent à perturber sa vie idyllique. Son père,
dont le travail est l’invention des assaisonnements et des couleurs, est
irakien; sa mère est anglaise et elle n’arrive pas à s’adapter à la
chaleur, aux coutumes, ou à son isolement. Ils se disputent sans cesse, et
la narratrice est consciente du fait que beaucoup de gens la voient comme
“la fille de l’étrangère”. Elle est beaucoup plus proche de son père qui
éveille l’intérêt de sa fille à son travail pendant qu’elle grandit. La
famille déménage à Bagdad et, peu après, la guerre contre l’Iran commence.
Les effets de la guerre, surtout vus à travers les changements croissants
dans la vie quotidienne – le rationnement, la restriction de voyages, et
la fermeture de l’École de Danse – se juxtaposent à la découverte de la
fille du monde artiste assiégé à Bagdad et à sa première liaison amoureuse.
L’action dans la troisième section du livre se déplace en Angleterre où
elle voyage avec sa mère souffrante, juste comme éclate la Guerre du Golfe.
Khedairi écrit avec une certaine distance et passivité parfois irritantes,
mais les admirateurs de la fiction littéraire seront attirés par les
descriptions poétiques. Malgré la réserve de la voix narrative, cette
histoire doucement irrésistible sonne juste.
All Things Considered, National Public Radio, 7/25/01
Narrateur: A Sky So Close est le premier roman de la femme écrivain
irakienne Betool Khedairi. Notre critique, Alan Cheuse, explique que ce
livre raconte l’histoire d’une enfance à Bagdad et dans un village rural
en Irak.
Alan Cheuse: La romancière Betool Khedairi décrit avec beauté les jeux
innocents de l’enfance de sa jeune narratrice au teint foncé, une fille
née d’un père irakien et d’une mère britannique. Elle écrit: “We spend the
entire afternoon looking for earthworms and snails. We turn over the
stones and pebbles, pouncing on the insects sleeping underneath them, some
on their tummies, some on their backs. The snails end up on the liquid gum
that oozes out of the pores of the apricot trees.”
La fille anonyme vit ses premières années dans un village sur le rivage du
Tigre, à vingt miles au sud de Bagdad. Les querelles de ses parents
l’arrachent vite de cette espèce de paradis. Malgré le désir vif de la
narratrice d’habiter le monde de la danse et des beaux arts, elle se
trouve, à partir de son adolescence, dans le monde de la guerre, pendant
la “Mère des Batailles” entre l’Irak et l’Iran. Et quand on diagnostique
que c’est d’un cancer du sein que souffre sa mère, elles déménagent en
Angleterre et la fille habite le monde de la douleur. De l’enfance à l’âge
adulte, la narratrice promène ses regards pénétrants sur le monde qui
l’entoure, en nous donnant les détails d’une histoire d’éducation
soigneusement dépeinte et dont le cadre est un pays qui est resté fermé
aux yeux de presque tous les Occidentaux.
Les fragments astucieusement observés de l’histoire de Betool Khedairi
forment une narration mémorable traitant d’une fille qui grandit entre
deux cultures.
Narrateur: Le livre A Sky So Close de Betool Khedairi. Notre critique
Alan Cheuse enseigne l’écriture à l’Université de George Mason
à Fairfax en Virginie.
La tristesse de perdre des bien-aimés
Connie Smith, maître assistante d’anglais à Mary Washington College
The Free Lance-Star, Fredericksburg, VA, 2002
Ceux dont la vie est marquée par la perte peuvent réagir de manières
différentes. Ils deviennent peut-être amers et caustiques, cyniques et
profondément méfiants. Parfois, une personne vraiment sensible peut tout
simplement se distancier affectivement de la vie, vu les grands frais de
s’en soucier. Les écrivains doués produisent peut-être un roman comme
celui de Betool Khedairi, A Sky So Close.
L’histoire de formation qu’a écrite Khedairi est pour la plupart située en
Irak, la patrie de son père. Elle dédie le roman à lui et à sa mère, qui
est écossaise: “To my mother and to my father, so untimely our
separation…” La tristesse de la perte détermine le ton du livre dès le
début.
Dans la première partie du roman, elle s’adresse directement à son père.
Comme trop de pères, il est presque toujours au travail. La narratrice dit
d’un ton plaintif: “Father, you said you wouldn’t be away for long, but I
seem to see you only at the end of the week…The raised voices in the house
have quited down because you are never here.”
La raison des voix élevées, c’est la dispute prévisible au sujet des
différences culturelles. La famille vit à Zafraniya, une ferme rurale où
le père souhaite que sa fille apprenne l’arabe et les coutumes irakiennes
en jouant joyeusment avec son amie Khaddouja. Un jour, en faisant de la
balançoire, elle fait ses délices du ciel ‘si proche’ du titre. L’idylle
n’est pas parfaite car, curieusement, les deux fillettes prennent plaisir
à la cruauté envers les escargots, les insectes et d’autres petits animaux.
La distance et la dureté affectives de la narratrice prennent naissance
même à cet âge tendre.
La mère, trouvant peu de stimulation à Zafraniya, est contente quand la
famille part s’installer à Rasafa à Bagdad après la première crise
cardiaque du père. Elle approuve aussi que l’héroïne s’inscrit à l’École
de danse et qu’elle apprend la valeur des beaux arts, la poursuite
desquels devient sa passion.
Les rapports entre la narratrice et son père s’améliorent aussi. Elle
l’aide à son affaire d’assaisonements et de couleurs, un travail qui lui
plaît beaucoup et pour lequel elle est douée. Cette partie du roman est
enjouée et pleine d’imagination, riche et satisfaisante.
Pourtant, les querelles de ménage s’intensifient, et juste au moment où
elle attend la nouvelle d’un divorce imminent, au lieu de cela, elle
reçoit la nouvelle de la guerre contre l’Iran.
À une vie déjà agitée viennent s’ajouter les troubles qu’amène évidemment
la guerre. Alors que s’élèvent les pertes du pays, les pertes personnelles
que subit la narratrice la laissent presque figée de douleur. Le père
souffre d’une crise cardiaque fatale. Les beaux arts, que la machine de
guerre déclare, à la longue, sans valeur, ne peuvent plus protéger leurs
passionnés. Un sculpteur fracasse ses ouvrages avec une indifférence
étonnante de la même façon qu’il détruit les rêves et l’innocence de la
narratrice.
La narratrice, à peine âgée de 30 ans, ayant perdu sa mère, se retrouve en
Angleterre où elle devient traductrice. La Tempête du Désert, que les
Irakiens surnomment “La Mère des Batailles”, a commencé, et les lettres
sombres qu’elle reçoit de l’Irak ne peuvent donner aucun réconfort à la
jeune femme malheureuse. “My life revolves around my work, television in
the evening, and opening the mail in the morning with a cup of bitter
coffee.”
Malgré la peine que demande ce récit douloureux, le lecteur rencontre des
passages brillants et imprévus. Le dialogue dans la salle de cancer de
l’hôpital est touchant et compatissant, et parfois même étonnamment
comique.
Ce qu’il ya de meilleur dans ce roman, c’est que, à travers les
descriptions fines, la vie à Zafraniya parmi les enfants irakiens devient
réelle, et une culture autrefois étrangère devient familière. Ceci est un
grand don en soi et l’une des raisons pour laquelle c’est un roman
exotique qu’il faut absolumment lire.
Deux
Cultures
Admirablement écrite et traduite, cette histoire de vie d’une femme
franchit la frontière entre l’Est et l’Ouest, Norbert Schurer, 2002
À l’époque où nous risquons de nous faire, sans discrimination, des amis
et des ennemis dans le Moyen-Orient, un tel roman est particulièment
intéressant et opportun. L’auteur du roman est une femme qui est née en
Irak et qui vit maintenant en Jordanie; elle a écrit son livre en arabe (traduit
brillamment en anglais par le docteur Muhayman Jamil); il a originellement
paru au Liban. Donc, on peut le décrire comme moyen-orientaux plutôt que
comme faisant partie d’une littérature nationale. En outre, il franchit la
frontière entre l’Orient et l’Occident en dépeignant et contestant les
soi-disant différences entre ces deux cultures.
A Sky So Close raconte l’histoire de la narratrice anonyme dès son enfance
en Irak jusqu’à sa trentième année à Londres. Chaque long chapitre traite
en gros d’un stade dans son développement. Ils comprennent sa vie à l’âge
de six ans dans un village dans la campagne irakienne avec son père
irakien et sa mère britannique (et une amie irakienne); sa vie à l’âge de
dix ans à Bagdad; et sa vie à l’École de Danse à Bagdad pendant la Guerre
Iran-Irak. Ces expériences sont souvent extrêmement pénibles, mais la
narratrice en émerge une femme plus forte.
A Sky So Close est complètement engageant pour plusieurs raisons. En
premier lieu, l’écriture (ou la traduction) est admirable. Le père
travaille à compiler et nommer les goûts et les odeurs pour une usine
d’assaisonnements et, pendant quelque temps, sa fille participe à son
travail.
Pendant ces moments de travail, - où un poudre blanc devient ‘Soda Cream,
Sweet Marble’, ou ‘Slivers of Shells’ – le lien qui unit père et fille est
un lien que la mère ne peut pas rivaliser. Mais, même dans la description,
les tournures de Khedairi telle que l’expression contradictoire “time full
of emptiness” ou l’expression métaphorique “bombarded with patriotic
songs” pendant la guerre, sont merveilleusement évocatrices.
Le langage et l’action se rapprochent presque à la perfection quand la
narratrice est à l’École de Danse pendant la Guerre Iran-Irak.
Cette double histoire, qui reste immédiate et éternelle par l’emploi
narratif du présent, suit les préparations intenses de la troupe de
danseurs en même temps qu’on fait la chronique des mouvements de troupes
dans les communiqués militaires.
Pendant que s’augmente le nombre de cadavres retournés à Bagdad,
l’ensemble commence à répéter une scène de mort. Au point culminant du
chapitre la narratrice danse finalement un rôle devant des diplomates
étrangers juste avant qu’on ferme l’École de Danse. Les élèves vont
bientôt échanger “ballet training for training with bullets.”
Dans une juxtaposition semblable mais même plus complexe, l’un des
chapitres suivants entrelace la correspondance d’une amie, la vie dans une
salle de cancer d’un hôpital, des dépêches de la Guerre du Golfe et les
rêves et les expériences de la narratrice à Londres.
En plus de cette finesse dans l’action et le langage, A Sky So Close nous
offre une série de comparaisons culturelles sans forcer les personnages à
choisir entre les deux cultures. La mère veut que sa fille grandisse dans
un environnement hygiénique mais cela signifie qu’elle veut la séparer de
sa seule amie dans la campagne irakienne.
En plus du mythe du monstre Siluwa qui remonte à la surface de l’eau pour
dévorer les petits enfants, la narratrice apprend le conte de fées
occidental de Blanche-Neige.
Le père veut que sa femme soit contente mais, au début, il n’est pas prêt
à déménager à Bagdad où elle pourrait trouver de la satisfaction dans un
emploi. La mère se lave les cheveux dans l’évier, ce qui fàche son mari
qui veut qu’elle utilise la petite cuvette traditionnelle flottant dans un
pot plus grand rempli d’eau chaude.
Bien que ces détails semblent insignifiants, à la fin, ils débouchent sur
des dissensions domestiques considérables chez le couple, mais il serait
trop facile de voir ces deux personnages comme de simples représentants de
leurs cultures. C’est vrai qu’ils offrent à la narratrice deux modèles de
vie et de rapports humains, mais ce ne sont pas des opinions en noir et
blanc, mais bien plutôt en plusieurs nuances de gris desquelles doit
choisir l’individu.
À la fin, la narratrice trouve un compromis, mais il est évident que sa
vie n’est plus qu’un travail en cours. Puisque ça c’est en réalité la vie,
c’est rafraîchissant de lire un roman qui reconnaît cette complexité sans
apologie.
Si plus de gens lisaient des livres tels que A Sky So Close, nous aurions
peut-être moins de stéréotypes des autres cultures et de la nôtre propre.
Femme écrivain irakienne dépeint “le déluge noir” de la guerre
Claudia Parsons
Reuters
Manama, Bahreïn, le 9 février, 2003
La romancière irakienne Betool Khedairi a observé la guerre du Golfe
dernière à Londres, par les yeux de la presse occidentale, et par les
lettres qu’elle recevait de Bagdad qui décrivaient “un chaos interminable
de la peur, de la terreur, et de l’obscurité.” “La situation m’a dévastée
car ma famille était à l’intérieur et moi, à l’extérieur, je regardais les
ténèbres, les incendies, et la destruction de mon pays. Nous étions
paralysés,” a dit Khedairi au Bahreïn, après avoir lu des passages tirés
de son livre A Sky So Close.
Dans le roman, il s’agit de l’histoire d’une fille née en Irak d’un père
irakien et d’une mère britannique. L’auteur dit que son roman offre “un
aperçu des façons différentes dont le regard occidental et le regard
oriental voient la même question.”
L’intérêt qu’a éveillé ce livre – un livre dans lequel le personnage
principal vit sous la guerre Iran-Irak à Bagdad, et ensuite, observe la
Guerre du Golfe de 1991, à distance, à Londres – est monté au milieu de la
possibilité d’une autre guerre menée par les États-Unis contre l’Irak.
“Pendant les six mois passés, j’ai remarqué que les gens s’intéressent au
thème Est-Ouest. Ils s’intéressent vraiment à mieux comprendre la culture
irakienne et l’être humain irakien, et non seulement à l’Irak des journaux,”
a dit Khedairi.
Il y a des similarités inquiétantes entre quelques passages du roman et la
situation d’à présent où Washington menace de lancer encore une autre
guerre contre l’Irak en raison de ses prétendues armes à destruction
massive. À un moment le personnage principal est dans un café en train de
lire les gros titres dans les journaux: “Dernière limite s’approche”,
“Projet de négotiations” et “Avortement de négotiations.” Elle assiste aux
rassemblements en faveur de la paix pendant que les États-Unis rassemblent
une force formidable dans la région du Golfe.
La vie de Khedairi elle-même se réflète dans celle de l’héroïne du roman.
Son père était irakien, sa mère écossaise. Aujourd’hui âgée de 37 ans,
elle a vécu en Irak jusqu’à l’âge de 24 ans avant de partir s’installer à
Londres et, ensuite, en Jordanie. Elle dit que son livre n’est pas
autobiographique mais qu’il tire de ses expériences, en particulier
pendant la Guerre du Golfe. “C’était à ce moment-là que je soignais ma
mère. Elle souffrait d’un cancer, et j’y éprouvais une double angoisse. Je
m’asseyais à son chevet, je regardais le journal télévisé, et j’écrivais
fiévreusement, en combinant des fait réels avec la fiction que j’avais
dans la tête.”
Un déluge de bombes
Comme tant de gens, Khedairi espère qu’une autre guerre n’aura pas lieu.
“Ce serait le désastre le plus grand dans l’histoire de la guerre. Certes,
la Guerre du Golfe de 1991 a été catastrophique, mais cette fois-ci, les
effets seront même pire qu’avant. Nous l’avons déjà subi donc, si cela se
produit, nous savons exactement ce qui va se passer, et c’est certainement
pas amusant d’éprouver la même chose à plusieurs reprises comme un
scénario funèbre.”
Dans son roman sa narratrice anonyme reçoit des lettres de Bagdad qui
décrivent le chaos de la guerre. “It’s raining bombs. You can’t imagine
what we’re going through. A black rain covers the gardens, the streets,
and the rooftops, resembling black decomposing remains; it makes the days
uglier than the nights,” elle écrit. “A young man looks for his fingers
blown off amid the debris. A dog carries its discarded paw as it hops
three-legged across a ditch – the water a dirty pink colour.” La première
partie du roman, ayant pour sujet l’enfance du personnage principal,
révèle les différences culturelles profondes entre ses parents. Khedairi
dit qu’elle n’avait aucun motif politique en écrivant le livre, mais
qu’elle espère réduire l’écart entre l’Est et l’Ouest. “Mon ami m’a dit
qu’il y a, en fait, des gens qui pensent qu’on monte encore à dos de
chameau dans ce coin du monde,” elle a dit. “Si je ne peux rien changer en
ma qualité d’écrivain, au moins je peux établir un rapprochement entre les
cultures afin que les peuples puissent mieux se comprendre,” elle a ajouté.
“On se sent paralysé, et on ne peut rien faire que de son mieux.”
Khedairi a presque achevé son second roman qui traite des effets des
sanctions imposées à l’Irak par l’ONU depuis la Guerre du Golfe. Elle
compte le publier simultanément en arabe et en anglais d’ici un an. Elle
explique: “Il s’agit des conséquences de l’embargo sur l’infrastructure,
et le déséquilibre qui en résulte dans la structure sociale. C’est une
sorte d’étude psychologique du civil ordinaire, d’où il était et de ce
qu’il est devenu après dix ou douze ans. Je ne dirais pas que c’est
controversé, je dirais plutôt que c’est expérimental.”
ELLE - 18/11/2002 – Extrait de l’article: Irak; Les
exilées racontent.
Annick Le Floc’hmoan
Betool Khedairi porte
un chemisier court au col ouvert et conduit sa voiture dans les rues
d’Amman. Écrivain – son premier roman va bientôt être traduit chez
Gallimard -, cette jeune femme de 37 ans est née à Bagdad d’un père
irakien et d’une mère écossaise. Elle a quitté l’Irak, où elle a grandi
et étudié, en 1990: son père venait de mourir, et sa mère, qui souffrait
d’un cancer, se faisait soigner à Londres. Aujourd’hui, elle vit à
Amman: “J’avais besoin de me trouver dans un pays arabe, dans cette
culture et cette sensibilité. Car je rêve, je m’émeus, je ressens en
arabe. Mais quand il y a un problème à résoudre, je réfléchis en anglais.”
C’est en arabe qu’elle a écrit son premier livre, traduit en anglais sous
le titre “A Sky So Close” (Anchor Books). Ce joli récit d’une éducation
sentimentale en Irak a reçu un chaleureux accueil aux États-Unis. Betool
Khedairi y décrit avec tendresse une enfance près de champs d’abricotiers
aux branches entrelacées, un père tout en douceur, des nuits où l’on dort
sur le toit de la maison, face aux étoiles. Puis, raconte-t-elle dans son
roman, tout change quand éclate la guerre contre l’Iran, en 1980. Il est
désormais impossible de dormir dehors à cause des raids aériens, les
étudiants cessent d’aller faire leurs études à l’étranger et de rapporter
à Bagdad la richesse des autres cultures, les magazines étrangers
disparaissent des librairies. Autrefois largement ouvert sur l’extérieur,
l’Irak se racornit. Les pharmacies, raconte encore Betool Khedairi dans
son livre, ne vendent plus de pilules contraceptives: il faut augmenter
la population de l’Irak et remplacer les milliers de vies perdues sur les
champs de bataille. La télévision promeut le mariage en vue de
conceptions rapides et une nouvelle mode naît, celle des “mariages de
masse”: des milliers de mariées vêtues de la même robe blanche disent oui
en même temps à des fiancés qui partent à la guerre. Aujourd’hui, Betool
Khedairi refuse de parler politique et affirme ne vivre que dans la
littérature. Son roman brosse cependant un portrait saisissant de l’Irak
des années 80, quand les garçons aimés revenaient blessés de la guerre et
que les sirènes hurlantes effaçaient la douce vie d’avant. Ce n’était
pourtant, pas encore, la terreur et la pauvreté extrême d’aujourd’hui.
Young Miss Magazine/ Melissa
Glassman, Editorial Assistant, 2001
Vous souvenez-vous du chewing-gum qu’a mangé Violet dans Willy Wonka and
the Chocolate Factory (Charlie et la Chocolaterie)? Avec chaque bouchée
elle a goûté un nouvel aliment, mais elle ne pouvait que l’apprécier
quelques instants avant qu’une autre saveur n’ait explosé dans sa bouche.
C’est ce que j’ai ressenti en lisant ce roman. Quoique j’aie bien aimé les
sujets qu’a présentés l’auteur – de l’expérience d’être élévée par des
parents de deux cultures très différentes, à l’expérience d’une longue
guerre - il se passait tant de choses que j’avais du mal à m’y
enthousiasmer. Je sentais toujours que j’en voulais plus. Comprenez-moi
bien; je crois que ça vaut la peine d’être lu. J’ai beaucoup aimé que le
personnage principal est ballerine. Moi aussi je l’étais quand j’avais son
âge!
Le ciel de la ballerine
était
proche
Paroles
d'irakiennes - Ed. Le Serpent
à
Plumes
"Essai/documents 210 p"
Inaam Kachachi, 2003
Une élève de ballet amoureuse d’un sculpteur pris sous les drapeaux et
envoyé au front de la première guerre du Golfe
*:
telle est, succinctement, la synopsis de Comme le ciel était proche, de
Betool Khedairi. Un premier roman comme le sont souvent les premières
œuvres : débordant d’événements, de personnages et d’idées. Publié par une
maison d’édition libanaise en 1999, le livre bénéficie de l’élégance des
livres édités à Beyrouth : couverture satinée, brillante, soignée ; titre
et nom de la romancière pittoresquement calligraphiés en arabe ; papier
blanc propre, doux au toucher… Bref, le parfait contraste avec l’aspect
pauvre et la mauvaise qualité d’impression des livres édités à Bagdad.
D’aucuns pourraient s’interroger : Comment, quoi, y a-t-il donc des écoles
de ballet à Bagdad ? Qu’ils se rassurent. Bagdad est différente de Kaboul,
malgré les tentatives tendancieuses d’amalgamer les deux capitales. En
Irak, il y a des écoles de ballet depuis un demi-siècle. De jeunes
ballerines irakiennes dansent au rythme du Lac des cygnes ou d’autres
musiques du monde, plus modernes. Chaque année, l’ambassade de France à
Bagdad organise un Printemps de la poésie auquel participent de jeunes
poétesses et étudiantes irakiennes francophones. Elle célèbre également
l’arrivée du Beaujolais nouveau, dont les bouteilles, expédiées à Amman
par avion, sont ensuite acheminées en Irak par camions, à travers le
désert.
Sous un ciel unique naguère si proche et désormais si lointain, le vin
français cohabite avec le sang versé. Betool Khedairi fait dire à son
apprentie ballerine :
« Madame nous a conduits au cours classique, épuisés que nous étions à
exécuter, sur la pointe des pieds, des figures sur des morceaux de Chopin
et de Rachmaninov. Elle nous a disséqué un passage de Bach. Avec nos
corps, nous avons ensuite essuyé le sol en répétant une chorégraphie
moderne. La musique de Jean-Michel Jarre retentissait des immenses
haut-parleurs fixés dans les coins de la salle. Leurs orifices nous
distillaient les notes comme des gouttelettes d’eau sans humidité. […]
» De la frontière est, nous parviennent des nouvelles des combats. De
larges banderoles d’étoffe noire sont accrochées sur les grillages des
maisons et des mosquées, portant des hommages funèbres écrits en blanc.
Des tentes sont dressées en plein milieu de la chaussée pour accueillir
les cérémonies funéraires trois jours durant, pendant lesquels les rues
réquisitionnées sont barrées à leurs extrémités. […]
» La plupart des femmes s’habillent en noir. En société, les présentations
sont désormais faites ainsi : telle est la sœur de tel martyr ; telle
autre, la mère de tel prisonnier de guerre ; telle autre, la fille de tel
porté disparu ; telle autre, la fiancée de tel blessé, et ainsi de suite.
Les dossiers des étudiants expatriés ont été clôturés. Les bourses
d’études et les mandats ont cessé. Beaucoup sont rentrés pour rejoindre
leurs affectations sur le front. Les bus rapatriant les corps des martyrs
sont de plus en plus nombreux. Une fois, nous avons vu un triste minibus.
A bord, une mère étreignant un casque militaire criait à travers la vitre
arrière. A chaque arrêt au feu rouge, elle affirmait avec obstination que
c’était le jour des noces de son fils mort à la guerre. Nous sommes
devenus familiers de la mort et de ses anecdotes. La télévision rumine
constamment les pertes de l’ennemi… et les nôtres. »
La ballerine reçoit de son amoureux soldat un billet doux dans lequel il
lui annonce son retour à Bagdad pour une courte permission et lui fixe un
rendez-vous pour le lendemain de son arrivée. Elle décide de s’y rendre et
de se donner à lui. Et s’interroge : « Comment célébrer ma relation avec
le premier homme ? Pas le temps pour les questions. Y a-t-il un temps pour
une relation sous les détonations ? Comment construire au milieu de choses
qui sont détruites ? Les hommes tombent les uns après les autres. Les
bâtiments et les maisons familiales tombent. Le temps tombe. Rependra-t-il
mes mains entre les siennes ? »
Elle va chez lui, à l’heure prévue. Il a laissé la porte ouverte car la
sonnerie est en panne à cause de la coupure d’électricité. Elle entre
lentement, le cœur palpitant. Son regard se pose sur le béret et les
bottes militaires, jetés près du lit. La sueur salée asséchée dessine une
sorte de carte géographique sous chaque manche de la chemise kaki posée
sur la chaise. Lui dormait, en plein repos de guerrier. Elle n’a pas voulu
le réveiller. La guerre en dehors, et eux à l’intérieur. N’avait-t-il pas
dit : « Pas le temps de faire connaissance lentement » ? Ils font l’amour.
Leurs ébats sont décrits dans un texte des plus beaux et audacieux que
puisse écrire une écrivain arabe : une femme qui se donne « sans contrat »
à un homme devant repartir vers un front qui ne le lui rendra peut-être
plus jamais.
L’héroïne de ce premier roman, Comme le ciel était proche, ressemble à son
auteur à bien des égards ; il y a comme un parfum d’autobiographie.
L’histoire est pleine de morts d’êtres chers : enfant, l’amie de l’héroïne
meurt, puis son père (d’une crise cardiaque), puis sa mère (d’un cancer
des seins). Or Khedairi a réellement vécu ces drames. Mais c’est aussi –
d’où sa beauté – un roman de la vie, la vie à travers le passage de la
mort. Le tout sur fond de deux guerres ravageuses qui ont assommé les
rêves de la jeunesse. Le rêve est entré en léthargie, provisoirement. En
attendant sa résurrection et le retour d’un printemps fleuri, la jeunesse
se console d’écriture.
L’écrivain avait entamé le roman en 1990, moins de deux ans après la fin
de la guerre Iran-Irak. Avant de le terminer, elle a été rattrapée par les
événements : la guerre du Koweït venait de sévir. Celle-ci s’est
naturellement imposée au dernier chapitre du livre. Au commencement,
Khedairi n’entendait pas écrire un roman. Elle voulait simplement inscrire
ses observations sur les assemblées de femmes à l’occasion des cérémonies
funèbres, très fréquentes dans un Bagdad en guerre.
Etant donné que la mère de l’auteur était une étrangère, la romancière se
rendait à ces réunions en compagnie de sa tente paternelle. Elle y
observait, à la fois fascinée et effrayée, l’ambiance pesante, les femmes
se lamentant, se frappant la poitrine, déchargeant leurs fardeaux de
soucis, et parfois même des scènes comiques qui faisaient pleurer
l’assistance de rire.
Après trois mois d’écriture, le père de la romancière décède. C’est pour
elle un choc étrange : « Soudain, je me suis trouvée impliquée, plongée de
plein fouet dans ce climat lugubre que j’avis observé chez les autres et
dont j’avais consigné les impressions sur les pages de mon journal ». Les
condoléances ont emménagé dans la maison familiale. Et voilà que la veuve
étrangère, mère de l’auteur, est assise, pour les recevoir, aux côtés des
parentes et des femmes du quartier.
Malgré son chagrin à la mort de son père, Betool préfère fuir ces
assemblées, se retirant dans sa chambre à l’étage pour continuer à noter
des observations « devenues irrésistiblement obsessionnelles ». Elle est
incapable de pleurer son père, pourtant l’être qu’elle chérissait le plus
au monde. « Pour compenser, j’écrivais. » Ses larmes convulsées se muent
en lettres qui s’alignent sur le papier sans passer par les paupières.
Quelques centaines de pages plus tard – remplies de notes, commentaires,
descriptions et souvenirs – le récit se forge enfin dans une intrigue
résolument romanesque. Betool choisit le style d’une correspondance
adressée au père disparu.
Ainsi naquit un superbe texte, que de nombreux critiques littéraires
n’hésitent pas à classer parmi les meilleurs romans irakiens de ces
dernières années.
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* Appellation donnée à la guerre
Irak-Iran (1980 – 1988).
La
Presse/ La Tunisie- 17/Fev/2004/Littérature/C’est un poème !/Jalel EL
Gharbi |